Qubit Pharmaceutics, la DeepTech qui mise sur le quantique pour créer de nouveaux médicaments : Rencontre avec son CEO, Robert Marino.

Robert Marino, CEO de Qubit Pharmaceuticals, la DeepTech qui mise sur le quantique pour créer de nouveaux médicaments

Fondée en 2020, Qubit Pharmaceuticals est une entreprise spécialisée dans la découverte de médicaments axée sur la physique quantique. Elle développe de nouveaux candidats-médicaments grâce à un logiciel de simulation avancé et une chimie médicinale améliorée par l’IA.

Pour le Journal du Manager, Robert Marino nous raconte la genèse de Qubit Pharmaceuticals, et nous explique l’enjeu de la physique quantique dans la biotechnologie.

Pouvez-vous revenir sur votre parcours professionnel et entrepreneurial ? Pourquoi avez-vous rejoint Qubit Pharmaceuticals ?

J’ai évolué dans le domaine des biotechnologies et de l’ingénierie, que ce soit l’IA, les nouveaux matériaux, l’énergie, etc. Tous les deux, voire trois ans, je basculais d’un domaine à l’autre. Je l’ai d’abord fait au sein de la Fondation Pierre-Gilles de Gênes pour la Recherche, puis dans une société d’accélération de transfert de Technologie, SATT.

Ensuite, j’ai créé DeepTech Founders à Paris, un accélérateur et qui accompagne chaque année près de 80 startups dans le domaine de l’entrepreneuriat scientifique. C’est ainsi que j’ai rencontré les fondateurs scientifiques et le fonds d’investissement Quantonation qui sont à l’origine de la création de Qubit Pharmaceuticals. Les chercheurs à l’origine des technologies que la société a prise en licences avaient tous la volonté de continuer la recherche, et donc de rester en laboratoire. Néanmoins, ils étaient également désireux d’accompagner l’entreprise à temps partiel via de la direction scientifique.

Autrement dit, ils cherchaient un CEO. C’est le fonds Quantonation avec qui je travaillais dans le cadre de DeepTech Founder, qui m’a proposé de devenir le premier CEO. Initialement, la mission devait être temporaire, mais au fil du temps, je me suis attaché au projet et à l’équipe. Au bout du compte, ce projet censé être temporaire est devenu permanent.

Quelle est l’histoire de Qubit Pharmaceuticals ? Quel a été le déclic ?

La technologie utilisée au sein de Qubit Pharmaceuticals est un projet qui a été lancé à la toute fin des années 80. Grâce à certaines ruptures technologiques, il a été possible de simuler des molécules sur les ordinateurs existants à l’époque, qui avaient une puissance de calcul très limitée. Pour ce faire, de nombreuses simplifications ont dû être réalisées en ce qui concerne la physique des interactions. Ainsi, on avait des logiciels qui tournaient sur des ordinateurs avec des puissances de calcul limitées, mais qui permettaient d’obtenir de premiers résultats. Les chercheurs de cette époque avaient besoin de beaucoup de données expérimentales pour nourrir la simulation.

Dès les années 80, les fondateurs scientifiques de Qubit Pharmaceuticals ont fait le choix de ne pas simplifier la physique. L’idée était d’avoir des modèles exhaustifs, capables de tout simuler et qui pourraient s’affranchir des validations ou des données expérimentales. Sauf que faire cela s’avérait extrêmement complexe d’un point de vue informatique. Il a fallu pas moins de 30 années de recherches pour arriver à faire ces calculs.

Grâce à l’optimisation sur les nouvelles plateformes de calculs, un calcul qui prenait pratiquement deux ans à la fin des années 2000 se fait en quelques heures aujourd’hui. Cela a été une accélération massive. Avoir obtenu une qualité aussi bonne que la donnée expérimentale sans en avoir besoin, ainsi que cette puissance de traitement valide le fait qu’on puisse passer de technologie de labo à un produit porté par une entreprise.

Qu’est-ce que le logiciel Tinker-HP ? Comment fonctionne-t-il ?

Tinker-HP, c’est le logiciel qui est au cœur de la création de Qubic Pharmaceuticals. C’est d’ailleurs grâce à lui que nous avons réussi à créer un laboratoire virtuel de conception de médicament. Là où tous les autres ont besoin de paillasses, nous diminuons drastiquement le besoin de synthèse et le besoin de validation expérimentale. En effet, il nous sera possible de simuler entièrement les interactions entre les molécules et les cibles. De plus, Tinker-HP est le cœur technologique intégré dans un workflow complet. Cela nous donne un avantage très fort : diviser par deux le temps et par dix le coût nécessaire pour découvrir notre candidat médicament.

Il utilise énormément de physique pour simuler l’ensemble des interactions entre tous les atomes. Il y a à la fois la cible, une grosse molécule biologique et le candidat médicament. On veut vérifier comment celui-ci interagira avec une protéine dans le corps humain qui est la cible dont on veut modifier l’activité afin d’éviter que le sujet tombe malade. Pour y arriver, il faut être capable de prédire comment chaque atome va interagir avec les atomes de la protéine. Tinker-HP va pouvoir modéliser l’ensemble des interactions très rapidement en distribuant ses calculs sur plein de processeurs en parallèle. C’est ce qui a fait que des tâches qui prenaient deux ans avant ne nécessitent plus que quelques heures.

Quelle est la place de la physique quantique dans la biotechnologie ? Quels sont les progrès à réaliser ?

Il y a beaucoup de promesses dans ce domaine. On espère que l’arrivée des ordinateurs quantiques permettra d’optimiser pas mal de calculs qui sont faits de façon approximative ou sous-optimale dans la chaine de valeur. Aujourd’hui, de nombreux ordinateurs quantiques sont en production. Ce sont des machines de test qui permettront de valider certains algorithmes et certaines expériences.

On espère que d’ici 3 à 7 ans, les premières machines de production soient disponibles. Ces machines-là auront pour but de résoudre des problèmes particuliers. Si le problème présenté correspond à ceux qu’elle peut résoudre, on peut s’attendre à des accélérations massives et exponentielles du problème. Si le problème présenté ne correspond pas à ceux qu’elle peut résoudre, l’opération ne marchera pas. On est dans une étape où l’on identifie les cas d’usages possibles d’être résolus sur cet ordinateur-là pour les mettre en production d’ici 3 à 7 ans.

Ensuite arrivera une autre phase où les ordinateurs travailleront sur n’importe quel type de problème. Dans ce cadre-là, on s’attend à des accélérations exponentielles sur beaucoup plus d’applications, mais ça va prendre beaucoup plus de temps.

Aujourd’hui, il faut garder en tête que les gens ne passeront pas du calcul classique au calcul quantique du jour au lendemain. D’ailleurs, je pense que cela n’arrivera jamais. Je pense plutôt que ce sont des workflows hybrides quantiques et classiques qui seront mis en place afin d’arriver à résoudre très compliqué.

Vous avez levé 16 millions d’euros en juin 2022. À quoi ce montant va-t-il servir concrètement ?

Nous allons investir encore plus dans le lancement de programmes de découverte de médicament. À ce jour, nous avons trois programmes de découverte de médicament en cours : un programme qui simule le covid, un autre dédié au cancer, et le dernier pour l’inflammation. Avec ces 16 M€, nous visons à atteindre une dizaine de programmes afin d’avoir un portefeuille consistant.

Bien évidemment, nous comptons également investir dans la biologie, la découverte, les tests, mais aussi continuer à étoffer nos équipes et atteindre 60 collaborateurs fin 2023. Enfin, nous continuerons à développer la R&D et à améliorer la robustesse de nos plateformes.

Vous avez annoncé faire partie des premières entreprises qui exploiteront HQI, la plateforme Nationale de calcul hybride HPC quantique. Où en êtes-vous dans le développement de ce projet ? Quelle en sera la finalité ?

Comme je le disais tout à l’heure, nous avons une approche hybride. La plupart des calculs sont faits sur des ordinateurs classiques et l’autre sur des ordinateurs quantiques. Alors nous avons développé des logiciels pour le faire. La partie algorithmique est prête, le logiciel aussi. Maintenant, nous attendons que la plateforme soit livrée et mise en œuvre opérationnellement pour lancer les calculs. L’objectif est de réduire le temps d’une partie des calculs que nous faisons aujourd’hui.

Vous êtes aujourd’hui présents dans 3 pays. Quelle a été votre stratégie à l’international ?

Il est vrai que Qubit Pharmaceuticals est en pleine expansion. Aujourd’hui, nous sommes principalement à Paris. Toutefois, nous avons des équipes à Boston aux États-Unis et nous nouons des partenariats avec l’écosystème de Sherbrooke. Nous avons choisi ces deux écosystèmes pour leurs spécificités.

Boston est le lieu de décision de la pharmacologie au niveau mondial, d’où notre présence. Cela nous permet d’être au cœur de l’action et de nous rapprocher de nos partenaires. D’autant plus que nous avons une culture franco-américaine, le projet étant né en Amérique pour ensuite être développé en France.

Sherbrooke quant à elle est l’une des villes les plus prisées pour l’informatique quantique au monde. En effet, il y a de nombreux talents à l’université de Sherbrooke, et même dans la zone de Sherbrooke, qui sont incomparables au niveau mondial. De plus, la ville canadienne a aussi une masse critique en matière de pharmacologie et dans certaines sciences médicales. Nous sommes venus pour la physique quantique et nous y resterons pour la biologie et la pharmacologie.

Quelles sont les difficultés éprouvées par les entreprises de la Biotech ? Comment composez-vous avec ces obstacles ?

Tout coûte cher ! Nous avons la chance d’accélérer les processus grâce aux calculs et à la simulation. Néanmoins, il faut quand même faire des tests et les validations biologiques. Le plus complexe aujourd’hui, c’est porter notre domaine par un vrai intérêt de la part des pharmacologues qui ont envie de prendre le virage du numérique.

On est en ce moment au milieu d’un bulle biotech où l’ensemble des investisseurs ont peur et se retirent du domaine. Il va donc falloir attendre 12 à 18 mois pour que les financements reviennent. C’est un domaine passionnant avec beaucoup d’opportunités qui rencontre souvent des petits décrochages.

Comment imaginez-vous cette activité dans 5 ans ?

Dans 5 ans, notre ambition est d’avoir deux ou trois programmes en clinique, et de voir nos molécules arriver chez l’homme grâce à nos partenaires.

Auriez-vous des conseils à donner aux lecteurs du Journal du Manager souhaitant se lancer dans l’entrepreneuriat ?

Le plus important est de bien s’entourer et de créer un écosystème autour de votre projet afin de vous aider à évoluer. Le meilleur moyen de se planter, c’est de le faire tout seul.

 

Nos remerciements à Robert Marino, CEO de Qubit Pharmaceuticals.
Propos rapportés par l’équipe de manager.one

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