Fondée en 2010, Qarnot est une société française qui fournit une solution unique pour réduire drastiquement l’empreinte carbone liée aux activités numériques. Pour ce faire, l’entreprise déploie une infrastructure capable de valoriser la chaleur fatale informatique dans des endroits en forte demande de chaleur.
Pour le Journal du Manager, Quentin Laurens se confie à propos de l’histoire et des ambitions de Qarnot.
Quel fut votre parcours professionnel avant Qarnot ? Pourquoi être passé de la politique à la Tech ?
Pour la petite histoire, j’ai fait des études de Sciences politiques à Bordeaux avant de commencer ma carrière dans la politique. J’ai travaillé en cabinet en tant que conseiller d’un grand élu local pour qui je rédigeais des discours, des interviews et des éditoriaux pendant près de cinq ans.
Cependant, je ne voulais pas faire ma carrière entière dans la politique, du moins pas de manière continue et surtout pas en n’ayant rien vu d’autre. C’est ainsi que j’ai décidé de changer de domaine. J’ai proposé mes services à Qarnot en novembre 2017 et j’ai été recruté pour février 2018, cela fait maintenant 5 ans. À mon arrivée chez Qarnot, nous étions une vingtaine de collaborateurs. Aujourd’hui, nous sommes 70 et à la fin de cette année, nous serons probablement autour de 110, voire 120 collaborateurs. C’est une entreprise en bonne croissance avec un positionnement assez atypique et très orienté sur l’environnement et la réduction de la consommation des ressources.
Finalement, j’ai rejoint Qarnot, car je trouvais le concept pertinent et ingénieux. Il faut dire que j’ai également eu un bon contact avec les deux cofondateurs, Paul Benoit et Miroslav Sviezeny, et je sentais qu’il y avait un truc intéressant à faire.
Quelle est l’histoire de Qarnot ? Comment ce projet est-il né ?
Qarnot est né en 2010. L’idée de départ vient de Paul Benoit, Président & cofondateur de Qarnot. À l’époque, il travaillait dans une grande banque française, plus précisément dans les services IT d’une salle de marché. Notons que les salles de marché consomment énormément de ressources IT, si bien que Paul a constaté un gâchis énergétique. Autrement dit, les serveurs sont très consommateurs d’énergie pour fonctionner et pour être refroidis. Par conséquent, Paul a trouvé dommage de ne pas valoriser cette chaleur. C’est ce qui l’a poussé à penser à une nouvelle manière de faire cette activité informatique en valorisant la chaleur et en consommant moins de ressources.
Le concept de Qarnot est de réfléchir le data center de manière absolument alternative. Pour ceux qui l’ignorent, les data center sont de grands entrepôts numériques qui alignent des serveurs par milliers. Au-delà de leur construction qui génère un coût carbone non négligeable, il faut les alimenter en énergie et les refroidir puisque tous ces serveurs dégagent de la chaleur. Pour revenir au concept, nous distribuons les serveurs partout dans la ville, là où il y aurait un besoin direct de chaleur. Ainsi, on ne transporte pas la chaleur, mais la donnée jusqu’au bâtiment qui a besoin de chaleur. Cette manière de faire revient donc à décentraliser le data center et positionner nos clusters de calculs (serveurs) directement dans des bâtiments consommateurs de chaleur.
La rencontre entre les deux cofondateurs a été décisive. En effet, Paul avait une expertise très IT tandis que Miroslav avait un profil d’entrepreneur et détenait une entreprise qui permettait la fabrication de produits. C’est la conjonction des deux qui a donné naissance à Qarnot.
Pouvez-vous présenter votre activité en quelques mots ? Quelle est votre clientèle ?
Nous sommes un cloud provider, connu pour valoriser la chaleur des serveurs en fonctionnement. Il faut souligner que nous avons une double activité. D’un côté, nous vendons des services informatiques en mode cloud à des entreprises de la finance, la recherche médicale, l’aéronautique, etc. qui sont très demandeurs de calculs haute performance. Cela fait de nous un fournisseur cloud comme Microsoft, Google, Amazon et OVH. D’un autre côté, nous vendons de la chaleur renouvelable pour des gestionnaires de piscines, de réseau de chaleur, des collectivités territoriales, etc. De ce fait, nous avons une activité scindée, qui est biface.
Comment fonctionne la technologie mise au point par vos équipes ?
Il y a deux aspects principaux, le premier est le cluster de calcul (ou QBx). Il s’agit d’un gros boîtier qui intègre des serveurs alimentés par de l’électricité, ce qui est plutôt classique. Sauf que le système a été repensé pour récupérer la chaleur dégagée afin de chauffer l’eau. Cela se fait grâce à un système de dissipation de la chaleur depuis le serveur jusqu’aux tuyaux d’eau. Autrement dit, l’eau se charge de la chaleur dégagée par les serveurs, puis elle ressort à plus de 65°C pour chauffer les douches, les bassins de piscines, etc. Nous valorisons 95 % de la chaleur dégagée par les serveurs, ce qui permet de produire énormément de chaleur à partir de ce qui était un déchet. Ainsi, on parle d’économie circulaire numérique, c’est-à-dire : récupérer un déchet dans l’informatique et en faire une ressource pour la ville.
Le second aspect, un peu moins visible, c’est la partie logiciel. Il s’agit de plusieurs outils, dont un orchestrateur qui permet de distribuer les calculs informatiques sur les clusters qui sont répartis un peu partout dans le pays et en Europe.
Qarnot cible les professionnels. Quels sont leurs habitudes et comportements d’achat ?
Au niveau de la vente des services informatiques, nous travaillons avec des entreprises qui ont besoin de puissance de calcul. Nous faisons des calculs pour la finance, la dynamique des fluides pour des recherches médicales et pharmaceutiques, mais aussi pour l’animation 3D qui est très gourmande en temps de calcul informatique. C’est le cas du film des Minions 2 qui a été réalisé en grande partie sur nos clusters.
Pour ce qui est de l’habitude d’achat de ces clients-là, ils optent généralement pour deux choix. La première est d’avoir leur propre salle serveur en interne avec la possibilité de débordement vers une solution cloud en cas de besoins supplémentaires. La seconde habitude d’achat c’est le recours au cloud. Il s’agit de ressources informatiques auxquelles on accède à distance. Les entreprises qui optent pour le cloud font le choix de ne plus gérer elles-mêmes leur IT, mais de le confier à quelqu’un dont c’est le métier.
Quelle est la place du numérique dans la RSE ? Quels sont les progrès à réaliser ?
Il y a deux façons de voir les choses. Tout d’abord, le numérique peut être force de proposition pour contrer l’impact négatif de l’IT, c’est que l’on appelle IT for Green. En dehors de Qarnot, on peut citer des exemples comme BlaBlaCar et Too Good To Go qui sont des solutions numériques à des problèmes environnementaux.
Toutefois, il y a également le phénomène de la pollution numérique qui est très méconnu. Elle repose sur de nombreux piliers tels que l’extraction des minerais et des matériaux rares, la fabrication des terminaux, les data centers, les réseaux, le recyclage, etc. C’est tout cela qu’il faut prendre en compte, notamment la fabrication des terminaux qui a le plus gros impact sur l’environnement.
Chez Qarnot, nous sommes très concentrés sur l’activité des data centers, en particulier leur consommation d’énergie. Aujourd’hui, nous réduisons drastiquement leur consommation d’énergie de plus de 65 %. Ajouté à cela, nous avons une réduction de l’empreinte carbone qui est supérieure à 85 % comparé à une solution classique.
En somme, il n’y a rien d’immatériel dans le numérique. Comme je le dis souvent, s’il n’existe pas à côté de vous, il existe ailleurs et cet ailleurs ce sont les data centers. Il consomme énormément d’énergie, de carbone, d’eau, et tout cela a une empreinte environnementale très importante. Pour le coup, Qarnot est une des entreprises mondiales à la pointe sur ce sujet-là.
Vous avez levé 35 millions d’euros en janvier 2023. À quoi ce montant va-t-il servir ? Où en êtes-vous dans le développement de ce projet ?
Un tiers de cette levée ira dans la croissance organique de l’entreprise, à savoir le recrutement et la montée en compétence. Les deux tiers restants serviront à la scalabilité, à l’élargissement de notre catalogue avec une nouvelle gamme de services qui devrait être proposée dans les mois à venir. Et enfin elle permettra l’implantation de data centers nouvelle génération dans des piscines, des réseaux de chaleur, industries, etc. Jusqu’ici, on faisait financer une partie de l’infrastructure par nos clients, mais cette levée permet dorénavant de procéder autrement. C’est-à-dire que nous finançons l’infrastructure et ensuite, le client paie pour le service.
Avez-vous prévu d’étendre votre activité à l’international ? Si oui, quel territoire souhaitez-vous conquérir ?
L’internationalisation fait partie des projets à réaliser grâce à notre levée de fonds. Nous percevons un gros potentiel en Europe du Nord, car ce sont des pays eco-friendly, très demandeurs de solutions vertes, où les lois en matière de technologies innovantes sont un peu plus souples qu’en France. D’ailleurs, nos deux premiers projets préfigurateurs de sites d’envergures sont en Finlande. L’autre zone, c’est l’Europe Germanophone (Allemagne, Autriche, Suisse, etc.) qui est aussi très demandeuse, ce qui est plutôt encourageant.
Quels sont selon vous les ingrédients du succès d’une entreprise ?
Pour réussir son entreprise, il est important de bien connaître son marché, car votre produit doit y trouver sa place. Ensuite, il y a la question humaine. Vous accomplirez de grandes choses avec des personnes en qui vous avez confiance, qui sont motivées par le projet et qui ont envie de rester. Chez Qarnot, l’une de nos plus grandes forces est la fidélité des équipes. Moi j’y suis depuis 5 ans, mais ce n’est rien comparé à d’autres qui y travaillent depuis 10 ans, voire quasiment depuis le début. En outre, je pense qu’il y a une vraie question sur les choix technologiques qui doivent être orientés par le business et pas seulement par le souci de la technologie et de l’innovation à tout prix.
Comment imaginez-vous cette activité dans 5 ans ? Quels sont vos projets pour Qarnot ?
Le business plan que nous avons présenté pour la levée nous positionne assez haut, alors dans 5 ans nous aurons plus d’un million de cœurs de calculs. Nous souhaitons devenir l’un des leaders du cloud européen avec cette dimension écologique qui fait notre force. Mais cela ne suffit pas, il faut être très concurrentiel sur la performance, le service client, etc. L’objectif est donc d’être à minima dans le top 3 français et d’installer plusieurs gros sites en Europe. L’idéal serait d’avoir quelques centaines de milliers de cœurs installés en 2023 et d’augmenter crescendo jusqu’en 2025.
Pour nous, l’important c’est de faire comprendre qu’on ne peut plus faire du numérique comme avant. Mais aussi de faire comprendre qu’il y a un gros enjeu à développer des infrastructures qui sont pensées au départ pour être moins consommatrices de ressources. Il y a donc un vrai sujet sur le changement de conscience et de paradigme.
Nos remerciements à Quentin Laurens, Directeur des Affaires Publiques de Qarnot.
Propos rapportés par l’équipe de manager.one