manager.one a rencontré Arnaud Caudoux, Directeur général adjoint de Bpifrance, la banque publique d’investissement. Cette institution créée le 1er janvier 2013 et présente sur l’ensemble du territoire offre aux entreprises françaises des solutions de financement pour soutenir leurs projets.
Dans un contexte de crise économique et sanitaire du Covid-19, nous avons interrogé Arnaud Caudoux sur les aides offertes aux entreprises en France et à l’international, les dispositifs phares de Bpifrance, ainsi que les principales actions à mener au cours des prochaines années.
Retrouvez facilement les points abordés au cours de l’interview en cliquant sur les liens suivants :
- Le rôle et les activités de Bpifrance
- L’accès des entreprises françaises au financement
- Les aides aux entreprises face à la crise du Covid-19
- L’internationalisation des entreprises françaises
- Les grands axes 2020 pour Bpifrance
- Le projet Demain
- Le Plan deeptech
Bonjour Arnaud Caudoux, et merci d’avoir accepté notre invitation. Avant d’entrer dans le cœur du sujet, pouvez-vous rappeler à nos lecteurs l’activité de Bpifrance ? Quel est le rôle principal de cette institution ?
Bpifrance, la Banque Publique d’Investissement, est la banque de développement des entreprises françaises, et le fonds souverain d’investissement français.
Elle tient donc tout d’abord un rôle de banquier qui finance la croissance des entreprises, en particulier celles des sociétés innovantes (mais pas que).
Bpifrance est également un investisseur public. Nous finançons directement en capital les entreprises, quelle que soit leur taille, des plus petites aux plus grandes en passant par le venture et le capital-développement. Nous investissons également de façon indirecte par le biais des fonds de venture et de capital développement français.
Toutes nos actions sont centrées autour du financement de la croissance des entreprises, en partenariat avec les acteurs privés. Côté dette, Bpifrance est co-financeur avec les grandes banques commerciales, mais également garant de leurs crédits aux PME. Côté investissement, Bpifrance co-investit avec les fonds privés.
Peut-on, à cet égard, qualifier Bpifrance de banque indépendante ?
C’est un bon point. Juridiquement, Bpifrance est une société anonyme de droit privé à capitaux publics, détenue à 100 % par la Caisse des Dépôts et l’État à parts égales. Sa filiale bancaire, Bpifrance Financement, est également détenue à 10 % par les grandes banques privées françaises.
Nous opérons majoritairement avec des professionnels de la banque et de l’investissement.
En outre, de plus en plus de personnes chez Bpifrance proviennent du monde du conseil et de l’accompagnement aux entreprises. Ces axes sont devenus chez nous un métier à part entière.
Bpifrance tient clairement un rôle d’accompagnement et de tiers de confiance dans la durée. Nous connaissons très bien l’environnement dans lequel évoluent les TPE et start-ups françaises, ce qui nous permet d’être au plus proche de leurs besoins et préoccupations.
Nous avons ainsi développé, en partenariat avec de nombreux bureaux de conseil et indépendants, une activité de consulting aux entreprises, principalement aux PME et ETI. L’objectif ici est de jouer pleinement notre rôle d’intermédiaire, de les faire se rencontrer, partager de bonnes pratiques, et de les aider à se remettre en question.
En outre, nous ouvrons à ces entreprises l’éventail de notre carnet d’adresses. Nous pouvons les mettre en contact avec des experts, sur tout type de compétence.
BPI France propose des financements directs et des garanties sur prêts. Trouvez-vous que les entreprises françaises aient un accès facile aux différents modes de financement ? Qu’est-ce qui pourrait être amélioré ?
Tout dépend de la manière dont on étudie les choses. Quand on se compare avec d’autres pays similaires, on s’aperçoit que l’accès au financement est très bon en France, que l’on soit une entreprise innovante avec le statut de JEI, ou une PME. L’écosystème bancaire et financier français est très développé. C’est même l’un des leaders européens.
Mais, bien sûr, il reste des points à améliorer. L’accès au financement par les TPE est un bon exemple. Il reste des efforts à faire. Sur ce point, les banques digitales ont un rôle à jouer.
Le sujet majeur serait ainsi d’abaisser le coût gestion du crédit et d’améliorer la qualité d’appréciation du risque en amont. Ce sont deux choses que le digital doit permettre de faire. Tout cela constitue un axe de développement bancaire important.
Côté equity, là encore le secteur français est plutôt performant. On manque encore un peu de grands fonds de venture qui gèrent plusieurs milliards d’euros, afin de pouvoir faire des tickets plus élevés. C’est cependant quelque chose qui se met en place progressivement.
L’accompagnement va au-delà de l’accès au financement. C’est le niveau de dynamique et d’ambition que nous voulons voir dans les PME françaises. Cela passe par de la mise en commun, de l’injection de compétences et du partage. Avant la crise du Covid-19, c’était devenu le nerf de la guerre : amener les entrepreneurs vers plus d’ambition, de compétences, et élargir leurs horizons.
Face à cette triste situation que nous vivons actuellement, quelles sont les aides mises en place pour soutenir les entreprises ?
Il existe tout d’abord des dispositifs mis en place par le gouvernement et accessibles à toutes les entreprises. Je pense notamment au report des charges fiscales et sociales, ainsi qu’au chômage partiel.
Il me semble intéressant d’évoquer également le Fonds de solidarité, qui permet aux TPE et indépendants ayant perdu plus de la moitié de leur chiffre d’affaires en mars et avril de recevoir une aide mensuelle de 1 500 euros. C’est également le cas si leur établissement a dû fermer sur demande du préfet.
Nous n’intervenons pas dans ces dispositifs. En revanche, le Prêt Garanti d’État est mis en place par le gouvernement en étroite collaboration avec Bpifrance. Ce plan massif représente 300 milliards d’euros, soit 15 % du PIB français.
Tous les professionnels et toutes les entreprises françaises sont ainsi éligibles à l’obtention d’un prêt de 25 % de leur chiffre d’affaires, garanti à 90 % par l’État (sauf pour les entreprises qui, en France, emploient plus de 5000 salariés ou réalisent un chiffre d’affaires supérieur à 1,5 Md€, où la part du prêt garantie par l’Etat est de 70% ou de 80%). Seuls les sociétés de financement, les établissements de crédit et les sociétés civiles immobilières sont exclus du dispositif. Son champ est donc particulièrement large.
Aujourd’hui, tous les chefs d’entreprise ayant besoin de liquidités peuvent contacter leur banquier principal pour solliciter un Prêt Garanti par l’État (PGE). Ce serait dommage de s’en priver !
Le PGE est un prêt d’un an sans différé d’amortissement. Au bout d’un an, l’emprunteur peut soit décider de rembourser tout de suite son emprunt, soit rééchelonner son remboursement dans la limite de 5 ans supplémentaires.
Le PGE est donc un dispositif qui prend en compte la préoccupation majeure du moment : la sortie de crise. La plupart des entreprises ne pourront pas rembourser cet argent dans 12 mois. Il était donc absolument nécessaire de pouvoir proposer d’ores et déjà un échelonnement du versement de ces sommes.
Ce prêt est en outre peu onéreux pour les entreprises. Les banques se sont ainsi engagées à le proposer au coût de la liquidité plus au coût de la garantie. Non seulement elles ne réalisent pas de profit, mais elles le font à perte puisqu’elles ne couvrent ni leurs frais de gestion ni le coût du risque.
Ces prêts sont ainsi disponibles à des taux allant de 0 à 1 % selon les banques et les modalités de garantie.
Voici donc le dispositif principal géré par Bpifrance. Dans ce dispositif, nous tenons deux rôles. Tout d’abord, nous sommes l’opérateur de la plateforme qui filtre en amont l’accès au crédit. Pour accéder à ce crédit, il faut d’abord demander un numéro d’attestation, disponible sur notre plateforme Bpifrance. Ce numéro est ensuite validé par la banque sur une autre plateforme dédiée.
Nous sommes donc l’orchestrateur en amont, si je puis dire, de l’accès aux prêts garantis par l’État.
Ensuite, Bpifrance est également le gestionnaire du dispositif de garantie. La garantie est l’un de nos métiers historiques. Chaque année, nous garantissons environ 10 milliards d’euros de crédit. Nous disposons à cet effet d’un réseau à l’intérieur des banques, des connexions informatiques avec les banques, et des équipes et méthodes pour gérer les grands plans de garantie.
C’est pour cette raison que Bpifrance a été choisie pour gérer, pour le compte de l’État, ce plan massif de garantie de 300 milliards d’euros. Cela décolle très vite, puisqu’au 3 avril nous avons passé la barre des 10 milliards d’euros d’accords de prêts, 8 jours seulement après l’introduction du dispositif.
Nous n’avons pas encore vu arriver les très gros dossiers qui prennent un peu plus de temps à structurer, mais les grandes entreprises sont également éligibles à ce dispositif. Elles sont aussi impactées par la crise.
Ensuite, Bpifrance propose de façon indépendante une série de prêts et de fonds de garantie développés en interne. Les entreprises peuvent ainsi souscrire des Prêts Rebond. Ce sont des prêts de 7 ans que l’on fait en partenariat avec les régions, de 10 000 à 300 000 euros selon les régions, avec 2 ans de différé d’amortissement et 5 ans d’amortissement.
Bpifrance propose également des prêts Atout. Ce sont peu ou prou les mêmes types de prêts, mais ceux-ci se font au niveau national pour des montants qui varient de 50 000 à 5 000 000 € pour les PME, et jusqu’à 15 000 000 € pour les ETI.
Ces prêts-là existaient avant la création du PGE et ont permis de prêter de l’argent aux entreprises se trouvant dans les situations les plus urgentes. Beaucoup de secteurs n’ont malheureusement pas attendu le confinement pour connaître d’importantes difficultés, en particulier dans l’industrie du tourisme.
Ces prêts viennent maintenant en complément du PGE. Toute entreprise pour qui le PGE ne suffit pas pour diverses raisons, peut bénéficier également d’un prêt Bpifrance de même nature (pas de garanties prises, différé d’amortissement…).
Vous avez, au début de cette entrevue, brièvement évoqué l’écosystème international. L’internationalisation des entreprises est un sujet déterminant, qui reviendra sûrement rapidement au cœur des préoccupations après la crise.
Comment Bpifrance accompagne-t-elle les entreprises françaises à se développer à l’international ?
Bpifrance est tout d’abord l’opérateur de l’assurance-crédit export, un système qui existe dans la majorité des pays développés. Par cette activité, nous connaissons maintenant très bien la réalité des contrats export et des activités export des entreprises françaises. Cela nous permet de les aider efficacement à grandir à l’international.
Les dispositifs autrefois étaient plutôt réservés aux grands groupes. Nous avons concentré nos efforts, ces dernières années, sur les PME et ETI.
Bpifrance a ainsi développé une offre standardisée permettant de faire du crédit export PME-ETI. On aide les entreprises françaises à vendre des contrats sur des montants qui s’étendent généralement entre 500 000 et 20 millions d’euros.
Au-delà de ça, notre aide à l’international réside surtout dans l’accompagnement de ces entreprises. On se concentre à ce titre sur la mise en réseau sectorielle à l’international. Nous aidons nos clients à cibler leurs marchés, et nous les emmenons le cas échéant sur place pour les faire bénéficier de nos réseaux.
Bpifrance réalise régulièrement des missions à l’étranger. Nous préférons en faire moins mais mieux. Ce sont des déplacements axés business, très orientés clients et contrats. Cela suppose en amont de bien sélectionner les entreprises et de préparer correctement les missions.
Quelle est la taille, généralement, de ces entreprises accompagnées ? Parle-t-on de PME et ETI, ou de plus grandes entreprises ?
Selon les programmes, on retrouve des start-ups, des PME et des ETI.
En général, ce sont des missions qui associent d’autres acteurs, tels qu’une très grande entreprise ou une très grande banque si c’est pertinent. Cela se fait le plus souvent de manière sectorielle.
Avant la crise du Covid-19, sur quels sujets Bpifrance entendait-elle concentrer ses efforts en 2020 ? Il est clair que la priorité est actuellement donnée à la mise en place du PGE et autres dispositifs d’aide. Avez-vous d’autres priorités ?
Il est certain qu’en ce moment, Bpifrance se concentre sur l’aide à apporter à nos clients en difficulté. Nous tâchons de nous assurer que l’économie française traverse l’orage sans trop de dégâts.
Nous sommes cependant en train de lever un Fonds, appelé « Lac d’Argent ». Sa mise en place se poursuit malgré la crise. On espère bien faire un premier closing en avril. Le « Lac d’Argent » est un fonds de 10 milliards d’euros pour investir en minoritaire dans les grandes entreprises françaises, avec une place dans leur gouvernance.
Par ailleurs, Bpifrance continue de faire vivre ses dispositifs habituels. L’accompagnement reste une priorité stratégique, le soutien à la création d’entreprise dans les territoires également. Je pense notamment à la création de toutes petites entreprises, dont les porteurs de projets sont aidés par des réseaux dédiés tels qu’Initiative France, Réseau Entreprendre…
L’internationalisation également demeure une priorité car cela reste un grand point faible.
Cela m’amène à évoquer le projet Demain, porté par Bpifrance. Pouvez-vous nous en parler ?
Le projet Demain consiste à développer notre expertise sur toutes sortes de sujets d’avenir. On choisit généralement des thématiques présentant une composante technologique, mais ce n’est pas systématique. Nous mettons alors en place des groupes de travail, réunissant diverses compétences et expertises, à qui l’on demande de réfléchir sur des sujets spécifiques.
Prenons l’exemple de l’hydrogène dans la mobilité.
Nous avons dans ce groupe de travail des personnes qui investissent en mobilité dans les venture, des professionnels de l’hydrogène, des experts du financement des énergies renouvelables, des professionnels de la chimie… On va alors demander à toutes ces personnes d’apporter une vision éclairée au sujet du potentiel de l’hydrogène dans la mobilité, ainsi que des possibilités business associées.
C’est un moyen d’extraire de la connaissance, de capitaliser dessus et de la repartager sous une forme compréhensible par tout le monde.
Dans la même veine, nous pouvons également évoquer le plan génération Deeptech de Bpifrance, qui consiste à faire émerger des start-ups en France et leur permettre de grandir. Est-ce toujours d’actualité ?
Oui, c’est complètement d’actualité. Si on veut vraiment parler d’innovation aujourd’hui, il faut aller chercher les sujets d’après. On voit bien que les problèmes sociétaux auxquels on est confrontés appellent des solutions technologiques significatives.
Il y a un vrai sujet de déploiement de la deeptech en France. Il se trouve d’ailleurs que nous sommes naturellement un pays de deeptech, puisque l’on a beaucoup de très bons laboratoires et de très bons scientifiques.
Le Plan deeptech vise à faire de la France le moteur européen de la deeptech. Le but de ce dispositif est de développer le continuum entre la recherche fondamentale et la start-up, et de faciliter le cheminement des chercheurs vers l’entrepreneuriat. Ce n’est pas ce que spontanément la plupart des laboratoires publics et universités français favorisent !
Ce chantier est en partie mené par Paul-François Fournier, Directeur Exécutif Bpifrance Innovation. Il s’agit d’animer cet écosystème particulier, mais également de fournir des moyens financiers qui permettent à cette dynamique d’exister et de se développer.
Nos remerciements à Arnaud Caudoux, Directeur Exécutif et Directeur Général Adjoint de Bpifrance.
Propos rapportés par l’équipe de manager.one.
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