Wemind, la start-up qui protège les indépendants : Rencontre avec sa co-fondatrice et CEO, Hind Elidrissi

Hind Elidrissi Wemind

Wemind est une start-up co-fondée en 2016 par Hind Elidrissi et Mikael Uzan. Elle apporte aux freelances et aux entrepreneurs les avantages des salariés : la protection sociale, trouver un logement, un comité d’entreprise.

Pour le Journal du Manager, Hind revient sur la création de cette entreprise, la condition des indépendants en cette période de crise et sur le sujet de l’entrepreneuriat.

Quel fut ton parcours professionnel avant Wemind ?

Avant Wemind, j’ai effectué mes études à l’ESCP Business School où j’y ai fait un parcours en alternance. À cette époque, l’apprentissage dans les Grandes Écoles n’était pas répandu. Je faisais partie de la première promotion à faire de l’alternance. J’ai choisi ce parcours pour des raisons financières puisque cela me permettait de ne pas avoir à payer une formation qui est très chère. Quand tu sors de l’ESCP, tu as deux grandes filières, celle des personnes qui vont se diriger vers la finance ou l’audit et celle des personnes qui vont aller vers le marketing. Dans mon cas, les deux ne m’intéressaient pas ! Lorsque j’ai commencé à chercher une entreprise dans le cadre de l’alternance, j’ai regardé ce qu’il y avait sur le marché et en effet, il y avait de nombreuses offres en audit, en finance ou en marketing. Je ne voulais pas faire cela.

Un jour, je suis tombée sur le secteur de la banque & assurance, ce qui me paraissait avoir plus de sens. L’assurance, c’est tout un système financier qui permet de sécuriser des risques et d’aider les gens. Cela me plaisait, et je me suis dit que c’était un domaine dans lequel je me voyais bien travailler. De plus, c’était un peu l’époque où internet commençait à s’imposer. Embauchée chez Axa, dans une équipe de gestion de projet informatique en charge de la création d’un logiciel de CRM, je faisais à la fois de l’assurance et du digital. L’assurance est un métier très technique. J‘ai passé 13 années chez Axa où j’ai pu accéder à différents postes. Lorsque tu intègres cette entreprise, tu peux passer d’un métier à un autre, ce qui est assez incroyable !

J’ai commencé dans la gestion de projet informatique, ce qui m’a permis de rencontrer des utilisateurs, parmi eux, des directeurs régionaux. À force de travailler avec ces personnes, tu finis par comprendre le métier. On m’a finalement proposé un poste dans une direction régionale qui consistait à accompagner tous les commerciaux du quart Sud-Est de la France. J’avais pour mission de mettre à disposition des commerciaux tous les moyens pour qu’ils puissent travailler. Cette période fut la meilleure que j’ai passée chez Axa. Après avoir fait beaucoup de gestion de projet informatique, faire un métier qui est sur le terrain, au contact des clients, c’est quelque chose de très enrichissant.

Après avoir fait cela, je suis revenue à Paris et j’ai accédé à un poste national car Axa était en train de structurer son plan d’action commercial au niveau de tout le territoire. Mon travail consistait à gérer toutes les actions commerciales dans le pays. Travailler chez Axa m’a permis de rentrer dans l’organisation d’une grosse entreprise, comprendre le métier mais aussi de commencer à connaitre le marché, les besoins des gens, observer comment les choses évoluent… Après 13 ans, je me suis dit que je connaissais bien le métier mais que je voulais l’exercer à ma façon, de manière totalement indépendante, avec ma vision et surtout, de ne plus dépendre d’une grosse structure. C’est un raisonnement que bon nombre de personnes ont dans les grosses entreprises.

Mikael était un collègue avec qui j’ai travaillé durant mes trois dernières années chez Axa. On était un bon binôme, on avait une excellente entente, et un jour, on a décidé ensemble de partir afin de créer notre propre boite. J’ai donc quitté Axa en 2014.

Pourquoi avoir créé Wemind en 2016 ?

Wemind est une démarche qui s’inscrit dans la continuité de ce qu’on a fait. Avec Mikael on quitte Axa, on veut monter une boite, mais on sait pas quoi exactement. Tu te retrouves un peu dans un no man’s land après avoir été salarié toute ta vie. Plus tard, on commence à bâtir le projet dans lequel on cherchait à valoriser nos compétences. Ce projet, on souhaitait le faire avec nos valeurs. Ce fut l’équation : nos compétences, nos valeurs. Cela nous a amené assez naturellement au choix de notre cible, avant de réfléchir au produit qu’on allait proposer. Pour nous, il était évident que notre produit aller s’adresser aux indépendants et aux entrepreneurs. On ne souhaitait pas créer un service BtoC classique

Notre objectif était de partir de l’individu qu’on souhaitait servir ainsi que de ses valeurs. Avec Mikael on partage une valeur très forte qui est la prise en main de son destin, la manière dont on décide de changer les choses. C’est ainsi que l’idée de s’occuper des indépendants nous est venue. À l’époque, on a fait ce choix car nous étions nous-mêmes devenus indépendants. En cours d’entrepreneuriat, on nous demandait de créer un produit pour soi-même. S’il était utile pour toi, alors il le serait pour d’autres personnes.

On s’est posé deux questions : De quoi les entrepreneurs ont-ils besoin ? Que peut-on résoudre avec notre compétence sachant que la nôtre est de faire de l’assurance ? Wemind répond exactement à cela.

On souhaitait :

  • créer une marque d’assurance que les gens apprécient
  • avoir des produits dans lesquels on peut avoir confiance. Souscrire à une offre sans arnaques camouflées
  • proposer un service construit et pensé dans le but d’aider au maximum
  • être transparent sur l’utilisation des cotisations
  • que les gens qui adhérent au service deviennent une communauté

La proposition de valeur était de dire que généralement, les indépendants ont de mauvaises mutuelles, qu’ils n’ont pas accès au logement et qu’ils n’ont pas de comité d’entreprise… Ainsi, on s’est dit que nous allions créer des produits qui proposeront de donner aux indépendants et aux petites entreprises les mêmes avantages que les salariés des grands groupes. Avantages que je connais bien, étant donné que j’ai été moi-même dans un grand groupe durant plusieurs années. Voilà comment est venue l’idée !

Comment fonctionne votre plateforme ? Quel est votre business model ?

Il faut accéder au site internet wemind.io et faire une simulation selon ses besoins, sa situation et d’autres critères… Wemind proposera un pack qui contiendra soit une mutuelle, soit l’accès à un comité d’entreprise et/ou la responsabilité civile professionnelle, donc essentiellement des services assurantiels. Il n’y a pas de système de négociation de prix, c’est un algorithme qui fonctionne de manière éthique, équitable et qui s’adapte à chaque situation, en donnant objectivement le montant de la cotisation. Nous avons de vraies garanties et une politique tarifaire qui fait en sorte que nos membres ne payent pas cher sur la durée.

On a également une politique très communautaire ! Les personnes qui sont chez nous font énormément de recommandations. La qualité du service, la relation qu’ils ont avec nous qu’ils ne retrouvent pas ailleurs font que, d’une part, nos membres sont satisfaits, donc fidèles, et d’autre part, vont nous recommander à leurs proches.

Concernant les cotisations, Wemind les prélève à nos membres, ensuite nous remboursons les personnes malades. Le tarif est équilibré entre les cotisations et ce qui est remboursé. On touche un pourcentage de frais de gestion des cotisations récupérées. Les bénéfices supplémentaires sont repartis en deux parties :

  • Réinvestissement dans Wemind afin d’améliorer le service
  • Reversement à des causes et associations que nous soutenons

On soutient notamment un syndicat qui se nomme independants.co dont je suis la porte parole. Son rôle est de défendre le droit des indépendants. Cette année, on a également investi l’intégralité de nos bénéfices dans un fond de solidarité pour les indépendants. On essaye de proposer un produit qui couvre efficacement, avec un service de qualité. De plus, investir ses bénéfices dans d’autres aspects bénéfiques pour les entrepreneurs est pour nous une action qui a du sens.

Les freelances manquent-ils de connaissances sur leur statut et leur protection sociale ? Quelles actions mettez-vous en place pour les sensibiliser à ces questions ?

C’est pour cela que nous avons créé le syndicat. De nombreuses personnes ont connu independants.co après la crise mais nous l’avions créé avant, parce qu’on avait conscience du trou dans la raquette. Le problème c’est que 100% des indépendants essayent de maximiser leur rémunération nette, avec une vision très court-termiste.

Quand tu es salarié, on t’interdit de toucher ta rémunération en totalité. En regardant la fiche de paie, quelqu’un qui gagne 2000€ net par mois, coûte en réalité à son employeur environ 4000€. La moitié est réinvestie dans la protection sociale, c’est ce qu’on appelle le revenu différé. C’est l’investissement dans l’assurance chômage, l’assurance santé, l’assurance retraite… Le système du salariat est paternaliste. On te dit que tu coûtes une certaine somme à ton employeur, somme que tu ne perçois pas dans sa totalité car elle est en partie réinvestie, pour toi, dans le système social.

On le voit actuellement avec la crise économique, il y a le chômage partiel, l’assurance chômage pour les personnes qui perdent leur emploi… Ces personnes sont protégées parce qu’elles ont cotisé, à la différence des indépendants qui, culturellement, et cela depuis toujours, se sont dit qu’ils n’avaient pas besoin de bénéficier de ce système. Sauf qu’en cas de complications, ces protections sont tout de même utiles. Je défends l’idée que lorsque tu es indépendant, tu te dois d’être responsable jusqu’au bout. Soit tu acceptes de jouer le jeu de bénéficier des protections, soit tu ne joues pas le jeu mais dans ce cas, il ne faudra pas se plaindre. Voilà le débat qu’on essaye de faire émerger. Remettre en question cette vision court-termiste est très important. Evidemment, chacun apporte sa réponse, je n’ai pas à juger mais c’est important que tout le monde puisse se poser cette question.

Quelles sont les différences majeures entre un statut de salarié et un statut d’indépendant sur le plan de la protection sociale ?

Les principales différences sont que lorsque tu es indépendant, tu bénéficies de moins d’assurance retraite et tu n’as pas du tout d’assurance chômage, du moins quasiment pas. Le ministère du travail avait été missioné sur le sujet de l’assurance chômage sauf qu’ils ont vite abandonné en voyant que cela coûterait trop cher à l’État. Tout de même, une réforme de l’assurance chômage avait été faite, qui inclut dorénavant les indépendants mais avec des garanties trop faibles.

Quelle avancée majeure souhaitez-vous faire avec Wemind pour la protection des travailleurs indépendants ?

Wemind est un acteur privé, on intervient en complément de la sécurité sociale. Le champs d’action en tant qu’acteur privé est très limité… La protection sociale qui fonctionne, c’est celle financée et réglementée par l’État. Pour donner un exemple, j’ai récemment assisté à un colloque sur le futur de la santé avec de nombreux assureurs qui expliquaient comment ils allaient le gérer. En France, sur 100€ dépensés dans le domaine de la santé, 75% sont payés par la sécurité sociale. Pendant la crise de la COVID, 100% des tests sont pris en charge par la sécurité sociale, cela n’a rien coûté aux mutuelles. Il y a donc en France, un très gros assureur santé qui est la sécurité sociale et qui prend 75% des dépenses. Les 25% restants sont partagés entre les mutuelles et les ménages. Les assureurs privés comme nous, en protection sociale, sommes des petits acteurs face à l’État.

Si tu veux faire évoluer la protection sociale, c’est au niveau de l’État qu’il faut agir. Il est compliqué de faire quelque chose à notre échelle. QUant aux méthodes, ce que je trouve intéressant, c’est que ce soient les indépendants eux-mêmes qui décident la manière dont ils souhaitent être couverts. En revanche, il faut que l’État fasse le travail de réglementation. C’est très compliqué.

De plus en plus de Français se lancent dans l’aventure entrepreneuriale. Qu’est-ce qui peut expliquer ce phénomène ? Peut-on dire que les Français renient le modèle du salarié ?

J’étais tombée sur une étude de l’IFOP que je trouve très parlante : un Français sur deux souhaite être entrepreneur ou indépendant ! Cette étude représente les déclarations d’intention. Techniquement, 90% des Français sont salariés et 10% sont indépendants donc il y a 45% qui souhaitent le devenir mais qui ne le sont pas. Je pense qu’être indépendant c’est génial, je soutiens toutes les personnes qui se lancent. Je trouve cela formidable de lancer son activité ! Même si tu te plantes, c’est pas grave car tu auras tout de même appris, mais je ne dis pas que l’entrepreneuriat est fait pour tout le monde. Quand je parle d’entrepreneuriat, je constate que des gens ont les yeux qui brillent et d’autres qui ne sont pas ouverts à cela. Chacun son truc.

Tout de même, 45% des salariés voudraient se lancer en indépendant mais ne le font pas. Lorsque j’étais en école de commerce, je me souviens vouloir monter ma boite mais je n’avais ni l’argent, ni le courage. J’ai mis longtemps avant de le faire. Entreprendre n’est pas évident donc je comprends que les gens ne passent pas le cap.  Le salariat reste très bien, tu as un patron qui prend en charge plein d’éléments, tu exécutes ton travail, cela te permet d’apprendre un métier. Se mettre au service d’une entreprise c’est bien également. Je suis régulièrement avec des entrepreneurs, des personnes qui réfléchissent à se lancer. Il est vrai que c’est excitant quand tu fais des formations d’entrepreneurs avec plein de gens qui veulent se lancer, je trouve cela chouette, il y a toujours une énergie incroyable.

Quelles sont les précautions à prendre pour démarrer sereinement son activité ? As-tu des conseils à donner à nos lecteurs ?

Le plus important c’est d’aller chercher des gens qui t’inspirent et d’être entouré d’autres entrepreneurs. J’ai remarqué, lorsque tu es salarié, que tu veux lancer ta boite, le jour où tu deviens entrepreneur, tu changes de planète. Tu ne vis plus dans le même monde que tes amis car je le rappelle, 90% de la population est salariée donc 90% de tes amis sont salariés. Tes proches ne comprennent pas la réalité dans laquelle tu vis. C’est pour cela qu’il faut rencontrer d’autres entrepreneurs car ce sont les seuls qui peuvent comprendre ce que tu es en train de vivre.

Autres conseils, il faut trouver son business model, très rapidement trouver des premiers utilisateurs, ne pas rester trop longtemps à réfléchir. Ce qui m’a réellement aidé, c’est d’aller faire une formation à l’entrepreneuriat, rencontrer d’autres personnes qui souhaitaient devenir entrepreneurs. Faire preuve de curiosité en posant des questions à des gens qui se sont déjà lancés, regarder ce qu’il se fait déjà. Il faut mettre un pied dans le monde de l’entrepreneuriat et aller regarder ce qu’il s’y passe. Evidemment, l’argent est le nerf de la guerre, il faut trouver les premiers clients. Une fois que c’est fait, il faut trouver une banque, un comptable, une assurance… Mais honnêtement, ce n’est pas ce qu’il y a de plus difficile. Le plus compliqué, c’est de démarrer son business.

Comment la crise sanitaire de la Covid-19 a-t-elle impacté les freelances ? Peux-tu nous parler du Fonds de solidarité mis en place au 1er janvier 2020 ?

Malheureusement, les freelances sont touchés par la crise. Ils sont justement la variable d’ajustement de nombreuses de boites et forcément il y a moins de commandes en ce moment. Le fonds de solidarité a été mis en place depuis début avril par l’État qui, objectivement, fait deux poids deux mesures... Le gouvernement a mis en place le chômage partiel tout secteur d’activité confondu et a dit aux salariés qu’ils pourraient toucher 85% de leur salaire. Pour les indépendants, l’État a donné 1500€ maximum pendant seulement 3 mois. Finalement, début septembre, l’activité partielle a été prolongée jusqu’à l’été 2021. En revanche, rien n’a a été annoncé pour les indépendants alors qu’ils sont les plus impactés par la crise… Ils doivent se débrouiller seuls. Il y a clairement un manque d’équité dans le traitement de cette crise.

Aussi, le plan de relance de l’État de 100 milliards d’euros n’est pas financé par les cotisations mais par la dette, qui est elle-même payée par tout le monde. Les indépendants vont financer le chômage partiel des salariés alors qu’eux-mêmes n’en bénéficient pas ! On a un système qui ne considère pas l’indépendant de la même façon que le salarié.

Quels sont tes projets pour Wemind ?

Développer notre communauté, composée aujourd’hui de 40.000 membres !  On travaille sur nos produits et la qualité de notre service. On va prendre le statut d’entreprise à mission, on souhaite financer de plus en plus de causes qui sont liées à notre vision du monde. Notre but n’est pas de faire de l’hypercroissance, mais plutôt d’avoir un service très qualitatif avec une vraie communauté. Faire quelque chose qui a du sens.

Parallèlement à Wemind, je suis membre du Conseil National du Numérique (CNNum) depuis 2018, après avoir été nommée par le gouvernement. Cette commission fut créée par Nicolas Sarkozy. Le CNNum a pour but de conseiller le gouvernement sur les politiques publiques liées au numérique. Des personnalités comme Xavier Niel ou Gilles Babinet en furent membres. Même si cette organisation a été nommée par l’État, elle reste indépendante. Au sein de cette institution, j’ai notamment co-dirigé un rapport, Travail à l’ère des plateformes. J’ai également participé à différents travaux sur la santé et l’inclusion socialeLes rapports produits au sein du CNNum sont transmis à tous les cabinets ministériels et sont souvent repris dans les médias. Notre rôle est de produire des documents qui sont ensuite étudiés par le gouvernement, nous sommes simplement une instance de conseil.

Nos remerciements à Hind Elidrissi, co-fondatrice et CEO de Wemind.
Propos rapportés par l’équipe de manager.one.

 

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