Fondée en 2014, DAMAE Medical est une MedTech qui développe le dispositif médical deepLive™, un système d’imagerie unique qui permet un dépistage des cancers de la peau sans réaliser de biopsie.
Pour le Journal du Manager, Anaïs Barut, se confie à propos de l’histoire du détecteur des cancers de la peau.
Quel fut votre parcours professionnel et entrepreneurial avant DAMAE Medical ?
J’ai commencé avec un parcours d’ingénieur avant d’aller dans le monde du commerce. C’est donc pendant mon cours d’ingénieur que j’ai intégré une filière dédiée à l’innovation et à l’entrepreneuriat. Cela m’a permis de rencontrer l’actuel Directeur Technique de Damae Medical et aussi cofondateur, David SIRET, un collègue de promotion en école d’ingénieur, à l’Institut d’Optique Graduate School.
Ensemble, nous avons mené successivement deux projets d’entrepreneuriat sur des applications variées, toujours dans le domaine de l’optique. Puis, lors d’un événement organisé dans le cadre de cette filière, nous avons rencontré notre troisième cofondateur. Il s’agit de notre Directeur scientifique, Arnaud Dubois, qui est également Enseignant-chercheur à l’Institut d’Optique Graduate School. Arnaud avait une invention qu’il était sur le point de breveter et qui consistait à faire de la microscopie ultra rapide pour imager directement le patient.
Après nous avoir présenté son invention, David et moi y avons vu du potentiel dans le médical, notamment en dermatologie. C’était notre intuition, et cela s’est confirmé. Nous avons donc travaillé tous les trois pendant un an avant de créer DAMAE Medical qui est un spin-off du laboratoire de recherche dans lequel travaille Arnaud.
Comment DAMAE Medical est-elle née ? Quel a été le déclic ?
Le déclic s’est fait autour de notre rencontre. Disons que les bonnes personnes se trouvaient au bon endroit, au bon moment. Il y avait le Directeur Scientifique qui apportait la technologie et le Directeur Technique qui avait les capacités de mener le projet à bien, depuis l’invention technique jusqu’au produit industriel. Tandis que moi, je complétais l’équipe avec des compétences plus orientées sur l’analyse du marché, la recherche de financement et la commercialisation du dispositif. Nous avions donc les bonnes compétences et l’envie de répondre à un besoin de santé publique.
Pour le coup, nous avons choisi la dermatologie, particulièrement le cancer de la peau, car il y a un vrai besoin médical non satisfait et une attente forte des patients. Certains dermatologues nous ont partagé leurs problématiques et voyaient l’intérêt d’une solution comme la nôtre. Nous étions très motivés pour les aider et étions persuadés d’avoir la technologie adéquate pour y arriver.
Pouvez-vous présenter votre activité en quelques mots, et à qui s’adresse-t-il ?
DAMAE Medical développe une solution qui aide les dermatologues à améliorer la prise en charge des cancers de la peau. À l’heure actuelle, 1 cancer sur 3 dans le monde est un cancer de la peau. Il s’agit du cancer le plus fréquent et il est en forte augmentation. Le critère en lien avec l’incidence est l’exposition au soleil, notamment dans des pays comme l’Australie où 2 Australiens sur 3 sont touchés par le cancer de la peau. Aux États-Unis, l’incidence est d’environ 1 habitant sur 5 alors que l’Europe comptabilise 1 habitant sur 10.
Aujourd’hui, lors d’une consultation, le dermatologue visualise les lésions suspectes à l’œil nu ou à l’aide d’un dermatoscope. Il ne pose pas de diagnostic lui-même, et lorsqu’il a un doute, il effectue un prélèvement appelé biopsie. Ce prélèvement est ensuite envoyé au laboratoire d’analyse pour une imagerie sous un microscope. Après quoi, le laboratoire se base sur ces images cellulaires afin de poser le diagnostic, et le dermatologue met en place le traitement.
En France, cette procédure met 2 à 3 semaines pour obtenir un résultat, ce qui est assez anxiogène pour le patient. De plus, les biopsies sont invasives. Elles causent trop souvent des cicatrices pour le patient et engendrent aussi des coûts pour le système de santé. Il y a également des mélanomes qui, à un stade très précoce, ne sont pas diagnostiqués par le dermatologue. En effet, ce dernier ne peut voir les premiers critères à l’œil nu ou à l’aide de la loupe. Il se peut qu’il identifie 5 à 10 lésions suspectes, mais il ne sera pas en mesure de réaliser la biopsie de toutes ces lésions.
Notre innovation est un dispositif d’imagerie qui permet un diagnostic non invasif des cancers de la peau. Il s’agit d’un appareil dédié aux dermatologues qui ressemble à un microscope, mais qui s’utilise directement sur la peau. Ce dispositif médical a été marqué en CE en 2020, nous l’avons nommé deepLive™.
Qu’est-ce que l’imagerie optique/imagerie cutanée non invasive ?
Aujourd’hui en imagerie non invasive, nous avons l’échographie, une technique mettant en jeu des ultrasons. Cette technique utilise donc des ondes sonores et permet d’avoir une résolution tissulaire. Pour arriver à l’imagerie de résolution cellulaire, il faut l’utilisation des technologies optiques, comme la microscopie. C’est l’environnement dans lequel nous sommes avec deepLive™, nous utilisons des ondes lumineuses, totalement non invasives. On utilise des longueurs d’onde proches de l’infrarouge, ce qui nous permet d’avoir une résolution cellulaire, quasiment 100 fois meilleure que l’échographie. C’est une combinaison entre la profondeur d’imagerie, la résolution et le caractère 3D de l’imagerie qui permet de visualiser tous les cancers de la peau et de poser des diagnostics
Notons qu’il existe deux grands types de cancers de la peau : les carcinomes et les mélanomes. Les carcinomes sont des cancers du derme, il faut donc voir assez profondément pour caractériser la structure du carcinome. Quant aux mélanomes, ils se développent à partir des mélanocytes. Il est donc nécessaire d’avoir une bonne résolution pour les distinguer des autres cellules.
Comment fonctionne la technologie deepLive™ mise au point par vos équipes ?
Le dispositif deepLive™ fonctionne comme une sonde échographique. Le dermatologue pose la sonde d’imagerie sur la lésion suspecte et voit s’afficher l’intérieur des tissus de la peau en profondeur et à l’échelle cellulaire. Tout cela en 3 dimensions et en temps réel sur l’écran du dispositif médical. Le dermatologue est donc en mesure, dans la plupart des cas, de poser un diagnostic immédiatement et d’orienter le patient.
Comment les professionnels de la santé en France ont-ils accueilli DAMAE Medical à son lancement ?
Les dermatologues étaient très intéressés, car notre dispositif les repositionne au cœur du diagnostic. Il permet au dermatologue d’éviter à leurs patients certaines biopsies. Aussi, les dermatologues peuvent proposer immédiatement le traitement le plus adapté en favorisant les traitements les moins invasifs. Le dermatologue arrive aussi à suivre l’application et l’efficacité d’un traitement.
En fin de compte, DAMAE Medical offre aux dermatologues un outil adapté à leur pratique, là où les ophtalmologues, les gynécologues, les radiologues, les dentistes, etc, ont déjà accès à ce type d’équipement. Ils étaient ravis de voir notre solution arriver.
Quelles difficultés avez-vous connues lors de votre parcours entrepreneurial ?
La difficulté principale était que l’on venait du monde de la physique pour répondre à un problème médical. Nous ne parlions pas forcément le même langage. Les physiciens parlent de performance et de spécifications techniques, tandis que les médecins parlent de performances cliniques. Par conséquent, comprendre le besoin de visualisation des carcinomes et des mélanomes a nécessité énormément de brainstorming pour réussir à faire l’équivalence et la traduction. Selon moi, il est clair que ce type d’innovation ne pourrait exister sans ingénieurs, de la même façon qu’il ne pourrait être utilisé sans médecins. Pour ce faire, il y a eu un grand travail d’intelligence collective, des discussions et de nombreuses itérations.
Finalement, c’est à la fois très enrichissant et stimulant de faire travailler différentes professions pour concevoir un dispositif comme le nôtre.
Quelle est la place du numérique dans la médecine, et quels sont les progrès à réaliser ?
Aujourd’hui, on a passé le cap où les médecins avaient peur du numérique. Au contraire, ils sont convaincus qu’il s’agit d’un complément de leurs pratiques et de leurs expertises. En particulier, les solutions d’intelligence artificielle qui peuvent être intéressantes à plusieurs niveaux. Dans notre cas, elles peuvent être utiles pour standardiser les performances et interpréter beaucoup de données. Par exemple, avec deepLive™, on collecte des milliers d’images 3D. Les dermatologues ne peuvent clairement pas regarder chaque image l’une après l’autre, l’intelligence artificielle va donc permettre de présélectionner les images qui semblent les plus suspectes.
Comme vous le savez, il y a une crise de disponibilité des dermatologues en France. Il y a donc un enjeu d’organisation de la ressource de la dermatologie. Le but étant de permettre aux dermatologues d’être disponibles et de passer plus de temps sur des cas compliqués. Je pense que le numérique est une vraie opportunité, notamment avec des solutions d’intelligence artificielle à des fins de formations et d’aide aux diagnostics.
Quelles sont vos ambitions pour Damae Medical ?
Nous avons plusieurs enjeux de développement commercial autour de notre solution. Il y a deux ans, nous avons lancé la solution et elle enregistre déjà plusieurs succès, particulièrement en Allemagne, en Italie, ou encore en France. Nous allons donc continuer ces efforts en réalisant plusieurs recrutements. Aussi, nous sommes accompagnés par des partenaires hospitaliers pour nous aider dans la validation clinique.
Nous avons aussi des enjeux forts au-delà de l’Europe, notamment aux États-Unis et en Australie. Ce sont les deux territoires que nous ciblons dans les prochaines années.
Enfin, nous développons toujours des innovations. À ce sujet, nous continuons à recruter au sein des fonctions Hardware, Software, Web Development et Data Science.
Quelles leçons retenez-vous de cette aventure entrepreneuriale ?
Je dirais qu’il faut être bien accompagné. C’est apaisant d’être plusieurs dès le départ, car on se sent moins seul. Cela permet de prendre plus de recul et de se sentir plus fort.
Dans notre cas, il s’agit d’un projet pluridisciplinaire, il a donc fallu recruter des personnes très différentes en interne, ce qui fait également la richesse de la société. Par ailleurs, nous nous sommes fait accompagner par des partenaires hospitaliers pour nous aider dans la validation clinique. Mais également par des investisseurs indépendants qui ont déjà vu, créé ou accompagné des sociétés ayant déjà franchi les étapes par lesquelles nous passons aujourd’hui.
En d’autres termes, c’est toujours intéressant de miser sur le réseau et le partage d’expérience, et surtout de s’en inspirer pour tirer des leçons avant même de rencontrer le problème.
Nos remerciements à Anaïs Barut, cofondatrice & CEO de DAMAE Medical.
Propos rapportés par l’équipe de manager.one